Manifeste
Nous n’avions rien écrit d’avance. C’est venu après.
Moi, Kevin, fondateur, je ne veux plus de voyages qui se révèlent avant même d’avoir commencé.
Des lieux déjà vus avant d’y poser le pied.
Des souvenirs préfabriqués. Prévisibles. Évidés.
Je cherche autre chose.
Des lieux sans attente.
Des gestes imprévus.
Des moments qui n’avaient pas été mis en scène.
Juste vécus.
— • —
J’ai choisi Apoena.
Un mot tupi.
Il signifie : celle ou celui qui voit plus loin.
Pas plus fort. Pas plus haut. Juste… plus loin que ce que l’on pensait chercher.
— • —
Ma partenaire est brésilienne.
Je n’ai pas choisi le Brésil. Il est venu à moi.
Je suis parti, non pas pour Rio. Ni Salvador.
Plus au nord. Plus calme.
Barra do Cunhaú.
Un village au sud de Natal.
Pas de panneau d’accueil. Rien à vendre.
Une vieille femme vendant des petits pains encore tièdes.
Quelques pièces. Pas un mot de trop.
Le pain était ordinaire. Le moment, non.
J’ai nourri des colibris.
Écouté le vent plier les dunes.
Arpenté Olinda sans carte.
Le carnaval ne disait pas où aller.
Nous avons suivi. C’était suffisant.
— • —
De retour chez moi, en Bretagne,
dans le nord-ouest de la France,
j’ai remarqué la même pulsation tranquille.
Un mercredi matin, à Vannes,
place des Lices.
Le marché prenait doucement forme.
Des cagettes alignées sur la pierre.
Des étals qui se déployaient sur le pavé encore frais.
Des maisons à colombages fermaient la place comme un vieux théâtre.
Au bout, la porte Saint-Vincent s’ouvrait sur la ville.
Les gens entraient sans y penser.
Des seaux pleins de bouquets.
Des fromages à peine déballés.
Un homme appuyé à un muret, buvant un café.
Personne ne parlait fort.
Mais tout bougeait.
On pouvait s’y perdre un moment.
Ou juste s’arrêter.
Et rester.
— • —
Je n’étais pas parti pour ça.
Mais en m’éloignant de ce que je connaissais, j’ai commencé à voir ce qui était juste là.
Pas un décor. Pas une tradition.
Juste une manière d’être. Plus lente. Plus présente.
Apoena est né de cela.
Non pour refaire le même chemin.
Mais pour essayer de faire ressentir aux autres ce que j’ai ressenti en rentrant.
C’est modeste.
Mais parfois, c’est suffisant.

Natal, Rio Grande do Norte, Brésil.